Pourquoi Israël ne peut pas vaincre une poétesse palestinienne

Par Budour Youssef Hassan, The Electronic Intifada, le 29 mai 2017

 

« En me persécutant, les autorités israéliennes essaient d’étouffer la voix des Palestiniens et de réduire au silence toute expression artistique qui s’oppose à l’occupation », dit la poétesse Dareen Tatour. (Zahi Khamis)

Dareen Tatour s’est sentie triste en regardant cette année à la télévision la « marche du retour ».

La poétesse aurait voulu participer à cet événement en mémoire des villages palestiniens qu’Israël a essayé d’effacer de l’histoire. Parce qu’assignée à résidence, elle n’a pu s’y rendre.

« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai pris part à la marche du retour », a-t-elle dit. « Je suis vraiment déçue de n’avoir pu y aller ces deux dernières années. »

 Tatour, qui est également photographe, a passé beaucoup de temps à faire des photos des villages dépeuplés et des populations déplacées par la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948. Cela concerne entre autres al-Kakri où la marche de cette  année a pris place.

Situé sur les pentes occidentales de Galilée, il a été détruit par les forces sionistes les 20 et 21 mai 1948 – une semaine après qu’Israël se soit proclamé en tant qu’Etat.

Tatour a été arrêtée en octobre 2105, à un moment où beaucoup de Palestiniens étaient ouvertement en révolte contre les autorités israéliennes.

Le 10 octobre de la même année, la police israélienne a fait une descente chez elle à Reineh – près de la ville de Nazareth.

On a cru comprendre qu’elle avait été arrêtée pour avoir écrit le poème « Résiste, mon peuple, résiste-leur ». Elle a ensuite été accusée d’incitation à la violence.

Après sa libération de trois mois de prison, Tatour a été assignée à résidence.

Les autorités israéliennes ont prétendu que restreindre ses déplacements était nécessaire parce qu’elle représentait une « menace pour la sécurité publique ».

Après plus d’un an d’assignation totale à résidence, elle a été soumise à un couvre-feu à la suite d’une audition devant un tribunal de Nazareth.

Selon les termes approuvés par le tribunal, elle était autorisée à sortir de chez elle – accompagnée d’un membre de sa famille – entre 9 H. et 19 H. Elle est cependant toujours interdite d’internet.

Les « petits détails » me manquent

En réponse à cet assouplissement des restrictions, Tatour est allée se promener dans la Vieille Ville de Nazareth. C’est quelque chose dont elle rêvait depuis longtemps.

 « Avant que tout ceci commence, j’avais l’habitude de marcher dans les rues de la Vieille Ville de Nazareth, avec mon appareil photo, et j’y découvrais toujours de nouveaux détails », a-t-elle dit. « Et ce sont ces petits détails qui me manquent vraiment et que j’ai appris à apprécier encore plus lorsque j’étais assignée à résidence. »

Les termes de son assignation à résidence ont été sévères.

Pendant les six mois qui ont suivi sa détention, elle a été obligée de vivre à Kiryat Ono, ville proche de Tel Aviv, toujours accompagnée d’au moins  un membre de sa famille. De même qu’elle était interdite d’internet, elle devait porter un badge électronique. Ce qui signifie qu’elle était sous constante surveillance.

Selon Tatour, ces six mois lui ont donné l’impression d’être mise à l’isolement ou en exil. « J’étais séparée de tout ce que j’aimais, fixant parfois le mur pendant des heures », a-t-elle dit. «  Ecrire était la seule chose qui me maintenait à flot. »

En juillet 2016, elle a eu le droit de revenir à Reineh et d’enlever son badge.

L’assignation à résidence « nous a entraînés, moi et ma famille, jusqu’aux limites extrêmes, aussi bien émotionnelles que financières », a-t-elle dit.

Elle devait louer l’appartement des environs de Tel Aviv et ses frais judiciaires l’on laissée endettée. Une campagne de collecte de fonds pour couvrir les frais a été organisée. Elle est au chômage.

Son état a attiré le soutien d’écrivains et de militants du monde entier, dont des auteurs aussi connus qu’Alice Walker et Eve Ensler.

Liberté de façade

Malgré la privation d’internet, Tatour est restée informée des efforts de la solidarité internationale. Les amis qui lui rendaient visite lui apportaient des articles qui parlaient d’elle et des lettres de ses supporters.

 « En me persécutant, les autorités israéliennes ont essayé d’étouffer la voix des Palestiniens et de réduire au silence toute expression artistique qui s’oppose à l’occupation », a-t-elle dit. « Mais cette solidarité maintient la force de nos voix et s’oppose aux tentatives d’Israël pour nous isoler. »

Tatour n’a jamais pensé que son poème susciterait autant d’intérêt. « Après tout, c’était un simple appel spontané à résister à l’occupation », a-t-elle dit. « Mais la réaction d’Israël au poème est la preuve que tout discours d’Israël sur la démocratie et la liberté d’expression n’est qu’une façade. Pour nous Palestiniens, cela a toujours été clair. »

Tatour identifie l’incertitude comme l’un de ses plus gros problèmes. « J’ai la sensation que tout ce temps a été arraché à ma vie », a-t-elle dit. « Tout en étant sûre que, à un moment ou à un autre, nous toucherons au but, je ne sais pas quand. »

 Il est vraisemblable qu’un verdict sera prononcé sur son affaire en juin. Si on la déclare coupable d’incitation, Tatour pourrait être emprisonnée jusqu’à neuf mois. Tout ce dont elle est coupable, a-t-elle ajouté, c’est de résister à Israël « avec ma plume et mes poèmes ».

Elle travaille à un mémoire sur son expérience de la détention et de l’assignation à résidence. « C’est la naissance d’une nouvelle Dareen, d’une femme plus forte, plus résiliente, convaincue que l’intimidation et la privation de liberté ne peuvent l’abattre. »

Budour Youssef Hassan est une écrivaine palestinienne. Son blog est budourhassan.wordpress.com

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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