Comment une loi met en évidence ce qu’Israël a toujours tenté de cacher

Orly Noy – 12 juillet 2018

Des centaines de jeunes garçons juifs brandissent des drapeaux israéliens en célébrant le Jour de Jérusalem au Mur des Lamentations, le 17 mai 2015 (Flash90) 

Dès son établissement Israël a accordé des privilèges à ses citoyens juifs aux dépens des Palestiniens. La « Loi sur l’État-Nation » révèle le choix que les israéliens doivent faire.

Il y a des années, le journaliste américain Ted Koppel a animé un débat télévisé passionnant entre le rabbin Meïr Kahane, le leader d’extrême droite anti-arabe, et Ehoud Olmert, qui était alors un membre frais émoulu du Likoud. Au moment où le parlement israélien s’apprête à approuver la loi sur l’État-Nation, qui entérinerait une discrimination vis-à-vis des non-juifs en Israël, il vaut la peine de faire un retour en arrière et de porter une grande attention à ce débat.

Kahane a exposé sans scrupule sa vision politique. « Les Israéliens, et en particulier ceux qui ont du pouvoir, ont peur que je leur pose la question suivante » a-t-il dit calmement. « Les Arabes en Israël ont-ils le droit démocratique d’être là tranquillement, démocratiquement, et de donner naissance à assez d’enfants pour devenir majoritaires ? Ils ont peur que je pose la question ». En Israël actuellement, sans que Kahane ne soit au pouvoir, il existe une loi qui permet aux Juifs d’obtenir la citoyenneté simplement en la demandant et qui ne donne pas le droit à des non-juifs de louer de la terre d’État. Kahane n’est pas à l’origine de ces lois. Ce sont des lois originellement votées par le parti travailliste.

Olmert, qui est pourtant un orateur exceptionnel, s’est trouvé hésitant à répondre, et il a plutôt riposté à un débat embarrassant sur les chances et les probabilités. À juste titre. Libre des entraves du politiquement correct et des facettes démocratiques, Kahane a réussi à rendre visible le véritable visage du sionisme en Israël : une guerre démographique inhérente, perpétuelle contre les citoyens palestiniens. Si Israël cherche à être juif et démocratique, il lui faut assurer activement une majorité juive.

Il est donc surprenant que ce soit sur la clause de la loi sur l’État Nation qui permet l’établissement de collectivités uniquement juives que la plus forte opposition se soit manifestée. Après tout, le projet sioniste en Israël, depuis sa conception, était de régénérer la terre. C’est la base de l’attitude de l’État et du traitement des Palestiniens – qu’il s’agisse du nettoyage ethnique en Cisjordanie, qui  interdit la réunification familiale, la loi du retour, ou le fait que depuis la fondation d’Israël, aucune nouvelle ville arabe n’a été établie, sauf pour quelques townships bédouins construits, au sud, pour empêcher l’accroissement de la population bédouine. Le public juif en Israël a appris à accepter cette opération par laquelle le caractère civil de l’État est soumis à son caractère ethnique. Après tout, cette soumission favorise la population juive, dans l’ensemble. Les privilèges construits qu’Israël fournit à ses citoyens juifs – au détriment des ses citoyens palestiniens – sont trop nombreux pour pouvoir les compter. Mais même si l’inégalité et l’injustice qui sont à la base de cette opération ne suffisent pas à pousser des Juifs à rechercher un contrat social différent, nous devrions faire attention au fait que cette reconfiguration n’affecte pas seulement ses citoyens arabes.

On peut lire les protocoles des réunions gouvernementales du début des années 1950, alors que l’État se préparait à des vagues d’immigration juive de pays musulmans. Ces Juifs ne faisaient pas partie de la conception démographique du leadership sioniste et, en retour, cela a formaté le comportement et le traitement des Juifs mizrahim de la part de l’État. Cela s’est manifesté dans la façon dont ces immigrants ont été amenés à contrecœur en Israël, de même que dans leur répartition géographique dans le pays. La vision démographique était basée non seulement sur un pays comptant aussi peu d’Arabes que possible mais aussi comme un pays où les Mizrahim soient sur les marges, à la périphérie, sur la frontière. La cruauté de l’État est l’extension d’exactement la même vision du monde. Dans la conception démographique d’Israël, il n’y a pas de place pour des Noirs – ceux qui ne sont pas juifs, évidemment.

Des Mizrahim dans le quartier de Mamila à Jérusalem Ouest, en 1957. Mamila, comme d’innombrables autres quartiers, a été vidé de ses habitants palestiniens lors de la guerre de 1948.  (GPO)

Cette opération a forcé le judaïsme lui-même à devenir les gardiens de l’État nation juif. Parce que l’État sioniste réclame un système de filtrage aussi strict et parce que ce rôle a été imposé au judaïsme, ce dernier doit remplir ce rôle de la façon la plus conservatrice qui soit. Si cela pouvait servir les besoins de l’État, c’est certainement contre les besoins de nombreuses communautés juives. Cela concerne les Éthiopiens, les immigrés d’anciens États soviétiques, les femmes ultra-orthodoxes, les LGBTQ, les Juifs non-orthodoxes et d’autres. C’est le prix payé par une partie de la population juive pour cette misérable opération qui affaiblit notre statut de citoyens au nom de privilèges fondés sur notre identité religieuse et nationale.

Au fil du temps, nous avons appris à considérer le terme « juif et démocratique » comme un axiome, au point que le mettre en cause est considéré comme une tentative de destruction de l’État. Mais il y a une alternative et son nom est un État de tous ses citoyens. La population juive en a à peine entendu parler, du fait que ces gardiens s’assurent de faire taire toute tentative effective de discuter cette option. Le président de la Knesset a récemment récusé un débat sur un projet de loi déposé par le député du parti Balad, Jamal Zahalka, visant à reconnaître Israël comme un État de tous ses citoyens.

Le dirigeant de la liste commune, Ayman Odeh (à gauche) avec le député Jamal Zahalka, pendant la réunion hebdomadaire de la liste commune à la Knesset, 1er juin 2015. (Yonatan Sindel/Flash90)

Voilà quel est réellement le danger représenté par l’idée d’une égalité complète et d’une reconnaissance des droits nationaux des deux nations qui vivent ici. Il n’y avait pas de crainte à l’idée que cette loi passe – la crainte se porte sur quelque chose de complètement différent : c’est la possibilité que la population juive se mette à comprendre que l’histoire de « juif et démocratique » ne paie pas et qu’un pays fondé sur une égalité réelle et sur la démocratie ne sert pas le seul intérêt de la population arabe mais autant celui de la population juive.

Tous ceux qui sont horrifiés par le nouveau projet de loi sur l’État-nation devraient regarder le débat Kahane-Olmert. Au fil des années, la réalité d’Israël a prouvé que Kahane comprenait correctement le sionisme. Au bout de 70 ans, le temps est venu d’intégrer le fait que nous avons le choix : entre un État juif et raciste et un État égalitaire, démocratique. Il n’y a pas de troisième voie.

Article originellement publié en hébreu sur Local Call.

Source : + 972
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

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