Après le Golan, Trump et Netanyahu vont-ils s’attaquer à la Cisjordanie?

Michael F. Brown – 27 mars 2019

La présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, parle à la conférence 2019 de l’American Israel Public Affairs Committee (Comité des affaires publiques israélo-américain, AIPAC), à Washington, DC, le 26 mars. Cheriss May SIPA

Un avertissement : si le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu est encore en poste fin 2020 ou 2024, quand la période au pouvoir du président Donald Trump s’achèvera, il y a de bonnes chances que les deux dirigeants déclarent que les Etats-Unis reconnaissent l’annexion israélienne de la totalité ou de la majeure partie de la Cisjordanie occupée.

Un précédent pour un tel geste a été établi lundi, lorsque deux importants événements anti-arabes ont eu lieu à Washington. Tout d’abord, à la conférence annuelle de l’AIPAC [American Israel Public Affairs Committee, un groupe de pression pro-israélien], les orateurs tant démocrates que républicains ont ignoré l’occupation israélienne du territoire palestinien et arabe, choisissant à la place de fulminer contre la députée Ilhan Omar, qui a été vilipendée pour avoir critiqué ouvertement l’influence hors de proportion du puissant groupe de pression pro-israélien.

Un consensus des deux partis a prétendu que l’AIPAC était réduite au silence, en détournant la tête de la réalité, à savoir que l’organisation soutient une législation qui vise à réduire au silence les supporters des droits palestiniens. Ensuite, Netanyahu, lorsqu’il a accueilli la proclamation de Trump reconnaissant la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan occupé, a jeté les bases rhétoriques et politiques pour une démarche similaire à propos de la Cisjordanie.

Netanyahu a appelé la déclaration unilatérale de Trump « une double action de justice historique ». Ensuite, il a poursuivi de manière inquiétante, disant qu’ « Israël a gagné le plateau du Golan dans une guerre juste d’auto-défense et que les racines du peuple juif dans le Golan remontaient à des milliers d’années ».

Ces mots augurent mal pour les Palestiniens.

Il est prévisible que Netanyahu ou un futur dirigeant israélien pourrait invoquer la même chose pour la Cisjordanie — même si cela n’a aucune base dans le droit international.

Israël prétend à tort que la guerre de 1967 était « défensive » alors qu’elle a commencé par une attaque israélienne surprise sur l’Egypte.

Dans un interview de 1976, le ministre israélien de la défense à l’époque de la guerre, Moshe Dayan, a admis que l’occupation du Golan par Israël, de même que ses provocations dans les années précédant la guerre, étaient guidées par un appétit pour la conquête de terres. Mais même si ce n’était pas le cas et qu’on puisse arguer que les actions d’Israël étaient « défensives », cela ne fait aucune différence juridique. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a réaffirmé maintes fois, dans le cas de tous les territoires occupés par Israël en 1967, y compris le Golan, le principe fondamental de « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre ».

La reconnaissance antérieure par Trump des prétentions d’Israël sur Jérusalem, et maintenant sur le plateau du Golan, montre qu’il veut suivre Netanyahu, son propre gendre et conseiller sur le Moyen-Orient Jared Kushner, et surtout le méga-donateur pour sa campagne et pour le parti républicain, le milliardaire propriétaire de casinos Sheldon Adelson.

De fait, sur le vol de retour vers Israël, une source diplomatique israélienne d’un rang élevé citée par le journal Haaretz a déclaré : « Tout le monde dit qu’on ne peut pas garder un territoire occupé, mais ceci prouve que si. S’il est occupé au cours d’une guerre défensive, alors c’est le nôtre ».

Le droit international n’est pas du côté d’Israël. Mais s’il est déficient du côté du droit, Israël rassemble la puissance militaire et une Maison blanche irresponsable.

Ivre de pouvoir

Le moment colonialiste, précurseur à un mouvement possible sur la Cisjordanie, a été scellé quand Netanyahu s’est tourné vers Trump et a plaisanté : « Je vous ai apporté une caisse du meilleur vin du Golan. Je sais que vous n’êtes pas un grand buveur de vin. Mais est-ce que je pourrais le donner à votre équipe ? Et j’espère qu’ils n’ouvriront pas une enquête sur nous ».

Trump a accepté le vin, se faisant complice du pillage d’Israël sur le Golan, où les investisseurs américains dans le pétrole et le gaz ont déjà été impliqués depuis des années.

Bien sûr, la cérémonie de signature de lundi signale que le gouvernement de Trump trempe jusqu’aux genoux dans la violation de la loi. Le parti démocrate ne semble pas s’en préoccuper et les médias majeurs ont laissé passer ce moment avec à peine un commentaire. Pourquoi attendrait-on quelque chose de plus de la Maison blanche ?

Le commentaire de Netanyahu sur le vin a été accueilli avec de larges sourires par Kushner et par l’ambassadeur David Friedman, des supporters des colonies qui sont à la base de la conquête coloniale israélienne en Cisjordanie.

Le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo était aussi présent pour la cérémonie de signature. Il a récemment émis l’opinion que Trump pourrait être chargé de mission par Dieu [vis-à-vis d’Israël].

Les Démocrates divisés

Trump et Netanyahu ont le vent en poupe en ce moment, et sont capables de faire ce qu’ils veulent sans beaucoup d’opposition. Mais involontairement ils mettent sur le devant de la scène la lutte entre l’apartheid israélien et un état démocratique avec des droits égaux pour tous.

Ils exercent un pouvoir politique cru qui crée d’énormes dommages aux droits des Palestiniens et des Arabes dans la région et menacent les droits d’expression de tous les Américains.

Le parti démocrate, divisé selon les générations, attaquant les jeunes femmes de couleur qui ont récemment rejoint le Congrès, est une résistance trop incompétente pour faire office de vraie opposition.

Certes, la majeure partie de l’énergie derrière le sénateur Bernie Sanders vient des plus jeunes membres du Congrès et de la base, mais la capacité de l’occupant actuel de la Maison blanche et d’une direction démocrate en décalage d’infliger un immense préjudice et de jeter les bases à un futur conflit est dramatique.

Ils s’affairent à tuer la solution à deux états —certains sciemment, d’autres non — et à formaliser un état d’apartheid.

D’ici à ce que les Démocrates gagnent la Maison blanche, le combat sera pour un état démocratique et contre le système d’apartheid, bâti par Israël depuis des décennies, et dont les dirigeants actuels montrent ouvertement leur fascisme et leur racisme violent.

Thomas Friedman lui-même comprend l’argument que de nombreux défenseurs de l’égalité palestinienne ont fait valoir depuis des années.

Bien que le commentateur du New York Times le formule dans des termes problématiques que les Palestiniens n’utiliseraient probablement pas, il a cette semaine résumé l’argument de base qu’ils pourraient faire : « OK, les gars, vous avez gagné. Nous avons perdu. La solution à deux états est finie, donc devenons des citoyens israéliens, donnez-nous le vote ».

Friedman, qui n’a jamais été un ami de l’égalité et de la démocratie quand il s’agit des Palestiniens, remarque que cette issue potentielle serait « un désastre ».

Des candidats démocrates évitent l’ AIPAC

Les chefs de file démocrates chevronnés visibles à la conférence de l’AIPACqui incluent la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, le chef de la majorité à la Chambre Steny Hoyer, le chef de la minorité au Sénat Charles Schumer et le sénateur Bob Menendez — n’ont pas dit un mot indiquant une résistance à l’action de Trump vis-à-vis du Golan.

Au contraire, leurs discours cherchaient à alimenter le soutien démocratique au groupe de pression pro-israélien.

Négligeant l’opposition de la base démocrate à l’occupation et aux crimes de guerre israéliens, ils ont volontairement détourné le regard des politiques soutenues par l’AIPAC qui dénient aux Palestiniens la liberté et restreignent même les droits à la libre expression des citoyens américains.

Ceci contraste avec les nouveaux candidats démocrates qui ont besoin du soutien des membres de base du parti dans ce qui sera sûrement en 2020 une campagne pour les primaires âprement contestée.

Ces candidats n’ont pas donné de discours officiel à la conférence, peut-être sous l’influence de la campagne « Skip AIPAC » (« Evitez l’AIPAC ») organisée par Jewish Voice for Peace, CODEPINK et même MoveOn.org.

Que plusieurs organisations, et même des membres du Congrès, soient maintenant ouvertement critiques d’AIPAC est un tournant décisif. Nous espérons que ce mouvement se traduise bientôt dans des changements sur le terrain pour que les Palestiniens ne souffrent plus des abus quotidiens de leurs droits humains.

Plusieurs candidats, cependant, ont rencontré leurs électeurs qui étaient en ville pour l’événement.

Les sénateurs Cory Booker et Kristin Gillibrand auraient été photographiés à l’événement, donnant des discours informels.

Si la sénatrice de Californie Kamala Harris, soutien de longue date de la colonisation israélienne, faisait partie des candidats démocrates qui sont restés éloignés de l’AIPAC, elle s’est pourtant vantée lundi d’accueillir une délégation du groupe de pression pro-israélien à son bureau. La forte opposition qu’elle a essuyée de la part des progressistes est une autre marque de la manière dont le paysage politique est en train de changer.

Sur l’auteur

Michael F. Brown est un journaliste indépendent. Son travail et ses opinions ont été publiés dans The International Herald Tribune, TheNation.com, The San Diego Union-Tribune, The News & Observer, The Atlanta Journal-Constitution, The Washington Post et ailleurs.

Source : The Electronic Intifada
Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Retour haut de page