La marginalisation politique des femmes palestiniennes en Cisjordanie

Yara Hawari – 28 juillet 2019

NOTE DE SYNTHESE

Alors que les femmes palestiniennes ont toujours fait face à une marginalisation politique, les développements survenus depuis les Accords d’Oslo leur ont fait affronter peut-être encore plus d’immenses défis concernant leur participation politique. Yara Hawari, chargée de recherche sur la Palestine à Al-Shabaka, présente ces défis et recommande des moyens pour les femmes et la société palestiniennes de rompre ce processus et de revitaliser la lutte de libération palestinienne à travers le féminisme.

Aperçu

Bien que les femmes palestiniennes aient toujours joué un rôle fondamental dans la lutte pour la libération du régime colonial de peuplement israélien, elles ont par la suite fait face à une marginalisation politique. Cette expérience a multiplié ses formes et son enracinement depuis les années 1990, quand les Accords d’Oslo ont ouvert la porte à une myriade de changements dans la structure de la société et de la gouvernance palestiniennes.

Dans ces changements, il y eut une dépendance récemment découverte envers l’aide de donateurs internationaux dans la société civile palestinienne, y compris les organisations de femmes, et le soutien d’une Autorité Palestinienne (AP) corrompue et implacablement patriarcale qui complète plutôt qu’elle n’affronte l’occupation israélienne et son oppression de la population palestinienne, à la fois masculine et féminine. Ce genre de développements a conduit les femmes palestiniennes d’aujourd’hui à devoir affronter des défis encore plus énormes lorsqu’il s’agit de militantisme et de participation politique.

Cette note politique traite de ces questions, fournissant une réflexion historique sur la participation politique des femmes palestiniennes, puis examinant les raisons de leur dépolitisation avec une attention particulière à la Cisjordanie. Elle se conclut en offrant aux femmes palestiniennes et leurs alliés quelques pistes pour bouleverser le processus et revitaliser la lutte de libération palestinienne grâce au féminisme.

Les femmes palestiniennes en tant qu’acteurs politiques

Les femmes palestiniennes ont longtemps été des individus politisés, pas seulement en tant qu’épouses, sœurs, ou mères, mais aussi en tant que combattantes, organisatrices et dirigeantes, avec une action pas uniquement définie par leur relation aux hommes. Si l’on jette un regard sur l’histoire palestinienne, les femmes ont toujours été présentes et actives aux étapes politiques et nationales essentielles, bien qu’elles aient dû aussi traverser les tensions entre féminisme, nationalisme et lutte anti-coloniale.

En 1917, les Palestiniennes ont pris part aux manifestations contre la Déclaration Balfour. Beaucoup d’associations de femmes se sont alors organisées lors du Congrès des Femmes Arabes qui s’est réuni en 1929 à Jérusalem. Ce congrès a créé le Comité Exécutif des Femmes Arabes pour prendre les décisions, ce qui a servi d’amorce à un mouvement organisé de femmes en Palestine.1 Beaucoup de femmes impliquées dans ce comité étaient issues des classes urbaines moyennes et supérieures, particulièrement de Jérusalem, et étaient engagées dans l’organisation de la communauté et les œuvres de charité. Toutefois, le comité était également un organisme politique, dont certains membres n’hésitaient pas à prendre la parole dans des espaces traditionnellement dominés par les hommes, tels que le Haram al Sharif et l’Église du Saint Sépulcre.

Au cours des soulèvements des Palestiniens contre les Britanniques en 1936, les femmes palestiniennes ont non seulement participé en masse aux manifestations, mais elles ont aussi fait partie des opérations de contrebande pour livrer des armes et des marchandises aux combattants de la guérilla. Là, les femmes palestiniennes de la campagne et des classes laborieuses ont joué un rôle vital. Elles ont caché des fusils dans leurs vêtements ou dans les champs et ont traversé le terrain, et ont échangé des informations importantes avec les guérillas telles que la localisation des troupes britanniques et les voies d’approvisionnement.2

Plus d’une décennie plus tard, la Nakba, ou catastrophe palestinienne, de 1948 a fait éclater la société palestinienne, dévastant les infrastructures sociales et institutionnelles que le mouvement des femmes avait construites pendant les décennies précédentes. La création de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en 1964 a provoqué une centralisation et fourni un foyer institutionnel pour beaucoup d’organisations de la société civile créées avant la Nakba. Le fervent renforcement des institutions qui s’en est suivi a ouvert beaucoup plus d’opportunités d’emploi pour les femmes. En plus, l’Union Générale des Femmes Palestiniennes (GUPW) a été créée en 1965 et a placé beaucoup d’organisations de femmes sous sa tutelle, ranimant le mouvement des femmes palestiniennes. Ces organisations ont offert des services éducatifs, médicaux, juridiques, sociaux et professionnels aux femmes, ont entrepris leur défense et ont créé des liens avec d’autres organisations de femmes à travers le monde.

Après l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967, la GUPW a commencé à répondre aux besoins les plus immédiats des femmes et des enfants palestiniens, y compris en installant des centres de santé et des orphelinats. A la fin des années 1960, le Fatah a pris en charge la GUPW et exerce depuis son autorité sur l’organisation. A la différence de certaines factions politiques de gauche, le Fatah n’a pas su exprimer une position ou une vision pour les femmes palestiniennes. Malgré cela, la GUPW a réussi à ouvrir des antennes dans la diaspora et a été particulièrement active dans les Etats arabes où se trouvent une grande quantité de réfugiés palestiniens. Aujourd’hui, elle poursuit son action en tant qu’institution dépendant de l’OLP.

A l’époque de la formation de la GUPW, les femmes palestiniennes étaient également impliquées dans la résistance armée, et la plupart des principales factions politiques avaient installé des camps d’entraînement pour les femmes révolutionnaires. Une révolutionnaire particulièrement connue fut Layla Khaled, membre du Front Palestinien pour la Libération de la Palestine (FPLP) de gauche, qui a attiré l’attention internationale pour son rôle à la tête de l’opération Dawson’s Field, qui a fait d’elle la première femme à détourner un avion. Khaled est ensuite devenue oratrice sur la scène de la solidarité internationale. Une autre membre du FPLP, Shadia Abu Ghazaleh, a fait partie des Palestiniennes qui ont pris part à la résistance armée après 1967. Elle est morte plus tard en préparant un dispositif explosif. Dalal Mughrabi, membre du Fatah, a fait partie en 1978 d’une opération militaire qui a abouti à sa mort ainsi qu’à la mort de 38 civils israéliens.

Khaled, Abu Ghazaleh et Mughrabi ont brisé de nombreuses conventions traditionnelles et nationalistes qui avaient limité le rôle des femmes dans la lutte de libération à celui de donneuse de soins aux fils et aux époux, qu’ils aient été combattants ou prisonniers. Bien que l’organisation et la participation à la résistance armée ait aidé à mettre en cause les présomptions sur les rôles liés au genre, les tensions entre émancipation féminine et nationalisme sont restées ancrées. En réalité, beaucoup de dirigeants palestiniens ont privilégié la libération nationale avant l’émancipation des femmes palestiniennes, si bien que cette position est devenue la norme.

Deux décennies plus tard, des images de femmes et de filles lançant des pierres, défiant des soldats et conduisant des marches pendant la Première Intifada ont montré des signes prometteurs d’une restructuration sociale. Des associations de femmes ont consolidé leur implication dans les œuvres sociales et l’organisation politique pendant cette période. Ceci a permis aux femmes de davantage sortir de chez elles sous le prétexte de la lutte, les amenant dans des espaces auparavant réservés aux hommes, tels que les réunions politiques et les premiers rangs des manifestations. Ceci a inévitablement contribué à une érosion de l’autorité patriarcale dans la famille.

Néanmoins, la Première Intifada est par ailleurs souvent romancée dans la mémoire collective et les récits, non seulement en termes de résistance et d’organisation de la communauté, mais pour le rôle des femmes dans la lutte. Il est important de noter que certaines femmes ont dû affronter de brutales réactions de la société à cause de leur engagement politique. Par exemple, bien que de nombreuses femmes qui ont été emprisonnées aient été glorifiées pendant leur incarcération, peu après leur libération, elles ont souvent fait face à des obstacles sociaux, y compris l’impossibilité de se marier ou de trouver un emploi. Par ailleurs, les femmes étaient encore souvent regardées en relation avec les personnages masculins, en tant que mères et épouses, comme on peut le voir sur beaucoup d’affiches politiques de l’époque.

Au bout de plusieurs années de la Première Intifada, la délégation palestinienne à la Conférence de Madrid en 1991 comprenait deux femmes (Hanan Ashrawi et Zahira Kamal) sur 21 personnes. Pourtant, quelques années plus tard, aucune femme ne participait aux Accords d’Oslo. Les femmes palestiniennes ne furent pas les seules à être marginalisées à Oslo, car les réfugiés de la diaspora et les citoyens palestiniens d’Israël en furent aussi exclus. Oslo a créé un cadre, quoique limité, dans lequel la direction palestinienne masculine en exil a eu les pleins pouvoirs, plutôt qu’un cadre pour la responsabilisation du peuple palestinien dans son ensemble. Cette exclusion a encore accru la tension entre la lutte nationale et le mouvement des femmes.

Dépolitisation des femmes palestiniennes

La tension entre nationalisme et féminisme s’est poursuivie dans la période d’après Oslo et s’est accompagnée d’une tendance des Palestiniennes à affronter les multiples forces qui répriment activement leur politisation et leur participation aux espaces politiques. La principale force a été et est toujours le régime israélien, qui a opprimé les femmes palestiniennes depuis le jour de sa création par des formes de violence genrée tout en renforçant les structures patriarcales à travers sa colonisation incessante et la fragmentation de la terre et des communautés. Pourtant, il est également important de reconnaître les forces à l’intérieur des communautés palestiniennes et internationales qui contribuent à l’affaiblissement du rôle politique des femmes palestiniennes.

L’ONG-isation du Mouvement des Femmes

Les Accords d’Oslo n’ont pas seulement créé un nouveau cadre pour « la paix » et « l’établissement d’un Etat », ils ont aussi mis en marche une transformation fondamentale de la société civile palestinienne, dont le mouvement des femmes. L’aide étrangère a été déversée en Palestine et a créé une situation dans laquelle la société civile est devenue dépendante du patronage extérieur. Alors qu’avant Oslo, les partis politiques soutenaient principalement les organisations de la société civile, l’ère post-Oslo a vu un affaiblissement et une fracture délibérées de ces liens. De nombreux chercheurs ont identifié ce processus comme une « ONG-isation », qu’Islah Jad décrit avec justesse comme les circonstances dans lesquelles « les questions d’intérêt collectif sont transformées en projets sans tenir compte du contexte général dans lequel elles naissent, et sans considérer les facteurs économiques, sociaux et politiques qui les affectent ».

La professionnalisation et la bureaucratisation des organisations de la société civile ont créé une distance entre elles et les communautés populaires locales. L’accent s’est trouvé concentré sur les délais du projet, les budgets, les propositions de financement et les rapports annuels, toutes choses responsables devant la communauté internationale des donateurs. Le passage à un agenda piloté par les donateurs a éloigné beaucoup d’organisations de la rhétorique politisée de la libération et du nationalisme. Beaucoup d’associations et d’organisations dans le mouvement des femmes ont elles aussi été sujettes à cette transformation.

Beaucoup de dirigeants palestiniens ont privilégié la libération nationale plutôt que l’émancipation des femmes palestiniennes.

Ce changement est particulièrement visible dans le lexique des droits des femmes d’après Oslo à l’intérieur de la société civile palestinienne. Beaucoup de termes ou de mots à la mode utilisés pour obtenir le financement de projets ont été définis par les agences de l’ONU et autres organisations internationales qui leur imposent leur signification et leurs conditions personnelles. Par exemple, le terme « autonomisation » est limité à l’autonomisation socio-économique et à la participation aux « prises de décision » plutôt qu’à donner aux femmes le pouvoir de résister à l’occupation et de construire une vision du monde postcolonial. En réalité, de nombreux projets se concentrent exclusivement sur l’autonomisation économique des familles, cherchant à aider les femmes à devenir moins dépendantes des hommes nourriciers. C’est en contraste flagrant avec les nombreuses coopératives créées avant Oslo et dirigées par des femmes qui ont essayé de gagner leur indépendance économique par rapport à Israël et se sont exprimées comme une forme de résistance, telles les coopératives féminines de producteurs créées en Cisjordanie et à Gaza par les Comités de Travail de l’Union des Femmes Palestiniennes pendant la Première Intifada.

On peut voir un exemple plus récent de cette transformation conduite par les donateurs dans une campagne d’une semaine lancée début 2019 par les agences de l’ONU, les organisations internationales et les ONG palestiniennes. Cette campagne, appelée « Mes Droits, Notre Pouvoir », voulait « éveiller l’attention sur les droits fondamentaux des femmes » et particulièrement sur la violence domestique. Elle a mis l’accent sur cinq sujets de préoccupation : le droit à une vie sans violence, le droit à obtenir justice, le droit de chercher de l’aide, le droit à des chances égales, et le droit de faire librement ses choix. La campagne a passé sous silence l’occupation militaire israélienne de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, ainsi que sa structure générale d’apartheid, en tant que facteurs majeurs de contribution aux violations des droits commises contre les femmes palestiniennes. En réalité, les mots « occupation » ou « Israël », sans parler d’ « apartheid » ou de « colonialisme » ne sont pas apparus dans les communiqués de presse ou les matériaux de campagne. Ceci reflète une tendance dans le discours de l’aide internationale et de la communauté des donateurs où on parle de « débouchés » et de « barrières » pour les droits des femmes dans un vide politique pour éviter toute gêne aux Israéliens. C’est un exemple clair de ce que la dépendance envers la communauté des donateurs a rendu les organisations involontairement complices de la dépolitisation de la lutte des femmes palestiniennes.

Tandis que ce processus d’ONG-isation a démobilisé beaucoup d’associations dans la société palestinienne, les femmes demeurent disproportionnellement touchées à cause des tendances patriarcales institutionnelles à exclure les femmes de la sphère politique.

Le Masque de l’Inclusion Institutionnelle

Le retour de l’OLP en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, puis sa dévolution en Autorité Palestinienne (AP) en a laissé plus d’un frustré sur le terrain, particulièrement les femmes militantes de la base de la Première Intifada qui ont alors perdu leurs rôles directeurs au profit de politiciens très majoritairement masculins, mettant une fois de plus en évidence les tensions entre la lutte nationale et la libération des femmes. En 2003, en partie pour alléger ces tensions, l’AP a créé le ministère palestinien de la Condition Féminine et, entre 2012 et 2014 sous la ministre Haifa Al Agha, elle a créé des unités traitant du genre dans toutes les agences gouvernementales palestiniennes. Ces unités sont supposées traiter les questions liées au genre, particulièrement la participation des femmes à la politique institutionnelle, quoique leur mise en œuvre et leurs résultats restent minimes. En réalité, il semblerait qu’elles aient été créées pour apaiser certaines exigences, particulièrement celles des donateurs, et répondre aux pressions à la fois nationales et internationales pour créer une structure politique mieux équilibrée entre les sexes.

L’ONG-isation de la société civile palestinienne a démobilisé beaucoup d’associations, mais les femmes restent touchées de façon disproportionnée.

L’inclusion actuelle des femmes dans la politique institutionnelle palestinienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza reste très superficielle. Bien que le Conseil Législatif Palestinien ait maintenu à 20 % le quota de femmes depuis 2006 – résultat pour lequel les militantes et les organisations de femmes palestiniennes se sont rudement battues – le pourcentage reste bas. Par ailleurs, d’autres organismes ont des taux d’inclusion encore plus bas. Sur les 15 membres du Conseil Exécutif de l’OLP, un seul est une femme – Hanan Ashrawi. Sur les 16 gouvernorats de Cisjordanie et de Gaza, seul le gouvernorat de Ramallah et El bireh a une femme comme gouverneur – Laila Ghannam. Pareillement, le gouvernement d’avril 2019 avec à sa tête Mohammad Shtayyeh n’a que trois femmes ministres sur 22 – Mai Kaileh, ministre de sa Santé, Rola Maayya, ministre du Tourisme, et Amal Hamad, ministre de la Condition Féminine. A l’exception d’Ashrawi, ces femmes viennent du Fatah. Ce n’est pas surprenant si l’on considère la domination du Fatah sur la scène politique palestinienne et les récents efforts du président Mahmoud Abbas pour consolider son pouvoir dans son parti.

Ces tentatives de consolidation du pouvoir sont significatives de la politique inhérente à l’AP, à savoir la direction par un seul homme, la gouvernance par décret présidentiel et l’échec de la séparation des pouvoirs, législatif, juridique et exécutif. En outre, le manque de démocratie et de processus démocratique – Abbas a dépassé le terme de son mandat depuis plus de dix ans – a ouvert la porte au népotisme et au clientélisme. Il n’est donc pas surprenant que, sous l’AP, les tendances patriarcales se soient renforcées.

L’AP a essayé de relever le statut des femmes palestiniennes en 2014 quand elle a accédé à la Convention de l’ONU sur l’Elimination de Toutes Formes de Discrimination envers les Femmes (CEDAW) sans aucune réserve. C’était le premier pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord à le faire, et certains, dont ceux de la communauté internationale, l’ont proclamé comme la démonstration d’un progrès significatif pour les droits des femmes. Pourtant, plusieurs questions en rendent l’accès moins significatif qu’il n’y paraît. Tout d’abord, le texte de la CEDAW n’a pas été publié dans la Gazette Officielle de l’AP et, en tant que tel, reste non contraignant dans le droit national. Ensuite, une décision de novembre 2017 de la Cour Suprême Constitutionnelle, qui régule le statut des accords internationaux dans le système juridique palestinien, permet aux tribunaux de ne pas appliquer les accords qui sont en conflit avec le droit palestinien. Ceci autorise des pouvoirs exécutifs non réglementés et le maintien de la législature de l’autorité patriarcale dominante.

Utiliser le Corps des Femmes comme Arme

Le fait que les femmes palestiniennes manquent souvent des protections juridiques les plus élémentaires et de représentation politique signifie qu’elles sont particulièrement vulnérables lorsqu’on en vient à l’utilisation de leur corps comme arme. Harcèlement et violence sexuels sont des sujets sensibles dans la société palestinienne, et celles qui en ont souffert sont souvent stigmatisées socialement. La menace de violence sexuelle et l’utilisation de harcèlement sexuel sont par conséquent des armes particulièrement puissantes. Et le régime israélien et l’AP ont utilisé cette violence genrée pour décourager les femmes d’être politiquement actives.

Depuis son installation, le régime israélien a systématiquement utilisé des tactiques genrées pour opprimer les Palestiniens. Cela a contribué au renforcement des stéréotypes sur le genre et le discours patriarcal, excluant les femmes de la sphère politique ou ciblant celles qui sont politiquement actives. Ce ciblage se manifeste par toutes sortes de moyens parmi lesquels le harcèlement, les menaces de violence sexuelle et l’emprisonnement, ce dernier étant le moyen le plus efficace pour restreindre l’activité politique. En fait, les femmes dirigeantes politiques ont été constamment emprisonnées par le régime israélien, dont la députée Khalida Jarrar.

Au cours de leur emprisonnement, les femmes palestiniennes sont souvent soumises à des violences sexuées pour essayer de les briser. Par exemple, Khitam Saafin, directrice des Comités de l’Union des Femmes Palestiniennes, a passé trois mois en détention administrative israélienne. Elle a rapporté que, pendant cette période, les soldats israéliens ont pris des photos d’elle et de ses téléphones et l’ont soumise à des fouilles à corps sans raison. Les autorités carcérales israéliennes sont par ailleurs connues pour refuser aux femmes des serviettes hygiéniques et pour restreindre leur accès aux salles de bain pendant leurs menstruations.

L’inclusion actuelle des femmes dans la politique institutionnelle palestinienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza demeure très faible.

Au cours des interrogatoires, les soldats israéliens ou les forces de sécurité utilisent souvent du harcèlement sexuel ou des menaces de violence sexuelle pour pousser les femmes et les filles à signer des confessions ou à donner des informations. On en a eu la démonstration dans une vidéo qui a fuité de l’interrogatoire de décembre 2017 de l’adolescente Ahed Tamimi, arrêtée pour avoir giflé un soldat israélien qui avait pénétré chez elle et avait auparavant pris part à un raid au cours duquel son cousin avait été atteint d’une balle à la tête. Ahed a été soumise à un interrogatoire au cours duquel deux agents masculins l’ont harcelée verbalement et ont fait des commentaires sur son anatomie.

Ces dernières années, l’AP a de plus en plus réprimé le militantisme et les activités qui défient son autoritarisme, utilisant des techniques aussi brutales que la détention, les interrogatoires, la surveillance, les limitations de déplacement et les cyber-attaques. Elle a adopté des mécanismes genrés semblables à ceux qu’utilisent les forces israéliennes pour décourager la participation des femmes aux activités politiques.

Les démonstrations et manifestations ont souvent été le lieu de violences sexuées. Les forces de sécurité de l’AP utilisent des insultes et des insinuations qui s’apparentent souvent à du harcèlement sexuel verbal, en plus de dire aux femmes qu’elles devraient être à la maison et pas dans les rues. Ceci conduit à des notions misogynes et mondiales d’honneur et de honte qui peuvent également être mobilisées contre les familles des femmes. On a connu des forces de sécurité de l’AP qui rendaient visite aux pères de femmes et de filles pour « discuter » de leur militantisme. Pour certaines femmes, ceci a de graves répercussions et signifie que leurs familles les empêchent de participer à des activités politiques. Il y a aussi eu des cas où les forces de sécurité sont allées sur le lieu de travail de femmes militantes et ont parlé à leur employeur pour essayer de les faire renvoyer. Ce genre de sabotage est encore plus facile via les médias sociaux, car les rumeurs et les mots diffamatoires peuvent se répandre rapidement et anonymement de telle façon qu’il est presque impossible de les réfuter.

Il existe des cas plus graves de harcèlement sexuel physique, des femmes empoignées et tripotées dans les manifestations. Ce fut le cas en juin 2018 dans la manifestation exigeant de l’AP qu’elle lève les sanctions sur Gaza, dans laquelle les fidèles du Fatah ont harcelé et agressé des femmes sur ordre des forces de sécurité de l’AP. Le harcèlement sexuel des femmes dans ce genre d’espace vise à les punir et à les décourager d’y prendre part, mais il encourage aussi les militants hommes à décourager la participation des femmes par peur pour leur sécurité.

Il est important de noter que les femmes palestiniennes ne sont pas restées passives face à la violence sexuée. Elles ont, par exemple, été longtemps confrontées à l’utilisation de leur corps comme arme grâce à des tactiques telles que la reconnaissance de leur droit à garder le silence pendant les interrogatoires et de rester en groupe ou à deux dans les manifestations. Une autre tactique consiste à se compartimenter mentalement. En fait, une militante à dit à cet auteur : « Je me prépare mentalement avant la manifestation, je me dis, « Aujourd’hui, mon corps n’est pas le mien ». »

Libérer tout le peuple palestinien

Le but de cette note politique n’était pas de romantiser la période d’avant Oslo, mais plutôt de voir comment la marginalisation politique des femmes palestiniennes s’est accélérée avec l’enracinement de l’occupation militaire, les autorités palestiniennes toujours plus répressives et l’affaiblissement des connections entre la société civile et les couches populaires. Par ailleurs, le projet tout entier de libération de la Palestine a été géographiquement, socialement et politiquement fragmenté, aboutissant à une situation de vulnérabilité historique. Tandis que des discussions se déroulent à la recherche d’efforts pour le ranimer, la question importante que les Palestiniens doivent se poser, c’est de savoir s’ils peuvent raviver une voie vers la libération en laissant la moitié de leur population marginalisée dans ce processus.

Le régime israélien ainsi que l’Autorité Palestinienne ont utilisé la violence sexuée pour décourager les femmes d’être politiquement actives.

En gardant cela en tête, ce qui suit, ce sont des recommandations pour briser ce processus de marginalisation politique et revitaliser la lutte de libération grâce au féminisme :

1. Les collectifs, associations et organisations de femmes palestiniennes qui cherchent à obtenir les droits des femmes et l’égalité de genre ont besoin d’être restructurées et revitalisées à l’intérieur d’un mouvement autonome de femmes qui lutte pour la libération des femmes dans tous les domaines, dont les sphères politique, économique et sociale. Le besoin d’autonomie pour les femmes est impératif dans un contexte de patriarcat, où la domination masculine est présente dans toutes les zones. L’autonomie organisationnelle ne signifie pas une séparation des luttes, mais fournit plutôt aux femmes un espace pour penser plus librement et collectivement à la libération. Les droits des femmes doivent être à la fois individuels et collectifs et il ne faut pas les séparer du droit collectif des autochtones palestiniens à se libérer du colonialisme de peuplement.

2. Les associations et organisations de femmes doivent trouver un moyen de se reconnecter à la fois aux racines et au discours de libération. Une façon d’y arriver, c’est de revenir au collectivisme et d’attaquer l’élitisme dans le réseau des ONG en utilisant des processus plus démocratiques et représentatifs. Ceci exige aussi d’avancer vers l’autosuffisance pour affaiblir la mainmise des donateurs, ce qui pourrait vouloir dire un système d’adhésion-cotisation et préparerait le chemin vers une souveraineté économique.

3. Associations et militants doivent s’occuper de la marginalisation politique des femmes. En particulier, les hommes dans ces domaines doivent être conscients des dynamiques de pouvoir qui empêchent les femmes de participer et soutenir les femmes dans leur combat contre ces forces. Par exemple, dans les réunions, les débats et les manifestations, les hommes devraient se mettre de côté pour que les femmes puissent tenir les premiers rôles. Par ailleurs, plutôt que de dire aux femmes de ne pas se tenir au premier rang de peur que leur corps devienne une arme contre elles, les hommes devraient se joindre aux femmes en proposant des tactiques pour combattre cette transformation en armes.

4. Tout en gardant à l’esprit le contexte de colonialisme de peuplement, les Palestiniennes devraient aussi étudier les récents exemples d’autres femmes de la région qui ont pris part à des processus de grand changement politique, comme en Tunisie et au Soudan. Il est également important de reconstruire les solidarités historiques, comme avec le Mouvement des Femmes Kurdes, plutôt que de regarder vers l’Occident, pour apprendre et progresser par l’exemple.

5. Le nationalisme palestinien s’est longtemps focalisé sur l’imagerie machiste incarnée par le combattant ou le prisonnier mâle, les femmes étant souvent perçues en relation aux hommes. Ceci a abouti à une politique de libération, qui non seulement exclut et domine les femmes, mais opprime aussi les hommes. Il y a donc un urgent besoin d’incorporer le féminisme dans le projet politique palestinien en adoptant un nouveau document de libération, un document qui comprendrait le féminisme, non seulement en tant que théorie, mais aussi en tant que pratique et façon de vivre qui avance vers la libération de tout le peuple.

Ce n’est qu’à travers ces actions que les dirigeants palestiniens et la société civile commenceront à exploiter la force des femmes palestiniennes dans la lutte palestinienne pour la liberté, la justice et l’égalité.

Notes :

1 Dans cette note politique, l’expression « mouvement de femmes » est utilisé au sens large pour se référer à l’ensemble des associations et organisations qui travaillent à faire avancer les droits des femmes en Palestine.

2 Fayha’ Abdu Hadi, « Adwar al-mar’a al-filastiniyya fi al-thalathinat 1930 – al-musahama al-siyasiyya lil mar’a al-filastiniyya [Le Rôle de la Femme Palestinienne dans les années 1930, la Participation Politique de la Femme Palestinienne] », Al-Bira : Markas al-Mar’a al-Filastiniyya lil-Abhath wa al-Tawthiq, 2005, 84.

Yara Hawari

Yara Hawari, est chargée de recherche sur la Palestine à Al-Shabaka, Réseau Politique Palestinien. Elle a obtenu son doctorat en Politique du Moyen Orient à l’université d’Exeter. Ses recherches se sont focalisées sur les projets d’histoire orale et la politique de la mémoire, plus largement dans le cadre des Etudes Indigènes. Yara a donné divers cours de premier cycle à l’université d’Exeter et continue de travailler en tant que journaliste indépendante, publiant dans divers organes de presse, dont Al Jazeera en anglais, Middle East Eye et The Independent.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Al-Shabaka

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