La conférence de J Street affronte le « chèque en blanc » des États-Unis donné à Israël

Mairav Zonszein – +972 – 1er novembre 2019

En faisant de l’aide des États-Unis à Israël le thème central de sa conférence 2019, J Street remet en question, avant même 2020, le soutien bipartite à Israël. Maintenant que l’organisation a commencé à débattre, va-t-elle aussi se mettre à avancer ? 

WASHINGTON – À l’ombre de la Série mondiale,  le meurtre signalé du leader de l’ISIS, Abu Bakr al-Baghadadi, et le premier anniversaire du massacre à l’Arbre de vie, à Pittsburgh, 4000 personnes se sont rassemblées dans la capitale US pour la huitième conférence annuelle de J Street, avec le titre « Se montrer à la hauteur».

D’une certaine façon, c’est juste ce que J Street a fait. La conférence a été dominée par le message que le gouvernement US ne devait plus – comme l’a dit le président de l’organisation, Jeremy Ben-Ami – donner un « chèque en blanc » à Israël. « Il est très important pour les États-Unis d’examiner de très près si notre argent devait ou non allé à des activités qui rendent impossible la voie vers une solution à deux États » a déclaré Ben-Ami à +972. Et il précise de quelles activités il parle, les démolitions des maisons palestiniennes et l’expansion des colonies de peuplement par Israël.  

Les cinq candidats à l’investiture du Parti démocrate qui ont participé à la conférence – Pete Buttigieg, Amy Klobuchar, Julián Castro, Michael Bennet, and Bernie Sanders – ont tous accordé des interviews à Ben Rhodes et Tommy Vietor, reçus par Pod Save the World qui ont insisté auprès des candidats pour qu’ils abordent la question de l’aide états-unienne à Israël. Sanders, un favori de la conférence qui a reçu de loin les applaudissements les plus exubérants quand il est venu sur scène, a été le seul à demander explicitement à conditionner, et même rediriger, cette aide ; le sénateur du Vermont a suggéré qu’une partie des 3,8 milliards de dollars qu’Israël reçoit chaque année devait être réorientée vers une amélioration des conditions de vie à Gaza, qu’il qualifie d’« inhumaines, inadmissibles et insoutenables ».

La conférence de J Street marque un changement significatif dans le discours sur la relation USA-Israël en général, et le rôle de J Street en particulier. Depuis sa fondation en 2007, J Street œuvre avec une détermination obstinée à une solution à deux États négociée par les USA ; jusqu’à cette année, cependant, il n’avait jamais suggéré, ni même abordé, la question des conditions de l’utilisation de l’aide financière et militaire à Israël. En même temps, la situation sur le terrain s’est détériorée de façon significative au cours de la décennie passée, avec des colonies de peuplement qui s’étendent, trois agressions militaires israéliennes contre Gaza, et l’adoption de la loi dite de l’État-nation juif. Netanyahu, qui domine le paysage politique israélien quasiment depuis que J Street existe, est passé d’un discours où il se disait d’accord pour la solution à deux États en 2009, à l’adoption d’une politique explicitement antidémocratique et anti-Arabe.

Le président de J Street, Jeremy Ben-Ami, prend la parole à la conférence nationale 2019 de l’organisation, le 28 octobre 2019. (J Street)

L’alliance de Netanyahu avec Trump a simultanément enhardi la droite israélienne, et créé un espace à la gauche pour exprimer des critiques plus vives contre la politique US à l’égard d’Israël. En faisant de l’aide US le thème central de la conférence, J Street aide à légitimer cette question comme le point de départ de tout débat démocratique sur ce que doit être la politique étrangère US envers Israël en 2021. « Il ne fait aucun doute que la majorité des démocrates se situe de la même manière que J Street. ‘Le jeu d’un Israël qui a raison ou qui a tort’ est fini », dit Ben-Ami.

Mais ce changement dans la rhétorique ne s’est pas encore traduit en actions législatives concrètes. Ni J Street ni Sanders n’ont accordé leur soutien au seul projet de loi au Congrès qui demanderait vraiment des comptes à Israël sur la façon dont il dépense les fonds US : le projet de loi 2407, présenté en mai par la représentante du Minnesota, Betty McCollum, et qui vise à interdire de transférer des fonds US aux FDI (Force de défense israélienne) pour qu’ils soient utilisés dans la détention militaire d’enfants palestiniens. Le projet concerne la détention de mineurs dans chaque pays du monde ; il s’agit d’un amendement à la loi Leahy, laquelle interdit au gouvernement des USA – à la discrétion du Département d’État – de fournir des fonds à des forces de sécurité étrangères quand il existe une « information crédible impliquant cette unité dans la perpétration de violations graves des droits de l’homme ». Le projet de McCollum veut ajouter la maltraitance systématique des mineurs dans la classification de violations graves des droits de l’homme. Régulièrement, Israël garde en détention et maltraite des enfants palestiniens, comme en témoignent minutieusement les organisations palestiniennes, et israéliennes, de défense des droits de l’homme, et le rapporte abondamment le Magazine +972.

« Voyant que la rhétorique sur l’aide au conditionnement devenait le sujet central de la conférence, j’en ai déduit qu’un effort conscient était fait pour créer une division interne sur la scène publique, afin d’illustrer, pour certains membres obstinés du conseil, où s’en vont les choses », a déclaré Brad Parker, conseiller principal pour la politique et le plaidoyer à DCI-Palestine (Défense internationale des enfants – Palestine). Selon Parker, J Street avait déclaré en mai qu’il soutiendrait le projet de loi avant la fin de l’actuelle session du Congrès, mais il a par la suite exprimé certaines préoccupations concernant la formulation du projet de loi.

Ben-Ami a déclaré à +972 : « J Street soutient le concept que toute aide doit respecter la loi Leahy ».

Dylan Williams, vice-président principal aux affaires gouvernementales de J Street, affirme que l’organisation était toujours à discuter de la question. « Nous ne savons pas simplement si cela permettrait de réduire de façon significative, voire à presque rien, l’aide US à la sécurité d’Israël, ce que nous soutenons ».

Le sénateur Bernie Sanders (Démocrate – Vermont) intervient à la conférence nationale 2019 de J Street, le 28 octobre 2019. (Gili Getz)

Le projet effectivement ne prescrit pas de retirer un seul dollar de l’aide US, il préconise plutôt de rediriger les fonds de sorte qu’ils ne soient pas utilisés pour incarcérer des enfants. Il stipule qu’ « aucun fonds ne doit être autorisé à être affecté à une aide à un pays étranger si elle peut servir à soutenir une détention militaire, des interrogatoires, des sévices, des mauvais traitements contre des enfants en violation du droit international humanitaire ». La représentante McCollum a confirmé à +972 que le HR 2407 « ne refuse pas une assistance étrangère des USA à Israël » et elle ajoute qu’elle « s’en tient au langage ».

Lors d’une séance en groupes restreints sur le rôle d’Israël dans les élections de 2020, l’écrivain états-unien juif Peter Beinart a décrit le soutien au projet de loi de McCollum comme « allant de soi ». Il ne suffit plus, dit-il, d’exprimer simplement un soutien à une solution à deux États, il explique qu’il est incohérent d’appeler à la fin des colonies de peuplement et à la création d’un État palestinien si on continue d’accorder en même temps à Israël une aide sans condition. « Pas besoin d’avoir un doctorat pour appliquer ces principes à une situation où les Palestiniens ont moins de droits en Cisjordanie qu’en avait un Noir du Mississippi en 1953 » dit Beinart. « Le débat qui s’engage au Parti démocrate – et je pense sans tarder – en est un qui débattra de la complicité des États-Unis et de l’argent des États-Unis ».

La députée Ilhan Omar, qui a approuvé le projet de loi McCollum avec le reste du « Squad » (ce groupe de 4 femmes parlementaires qui s’opposent à Trump – ndt) a soulevé la question de l’aide à Israël au début de cette année. Suite à ses tweets et déclarations publiques sur le financement US qui assure un soutien monolithique et démesuré à Israël, Omar a été attaquée et étiquetée comme antisémite (elle s’est excusée d’avoir invoqué ce que beaucoup voient comme des tropes antisémites, soutenant qu’elle n’avait pas voulu offenser). Maintenant, J Street, Sanders et Beinart soulèvent tous le même problème. Sanders, en réponse à une question de Ben Rhodes sur la façon de traiter efficacement la critique d’Israël et son amalgame avec l’antisémitisme, a déclaré « Je pense que d’être juif peut être utile à cet égard. Il va être difficile pour quelqu’un de me traiter – moi dont la famille de mon père a été anéantie par Hitler et qui aie passé du temps en Israël – d’antisémite ».  

L’experte en opinion publique et autrice de +972, Dahlia Scheindlin, intervient à la conférence nationale 2019 de J Street, le 28 octobre 2019. (J Street)

Omar, qui était invitée au gala de J Street lundi soir avec des dizaines d’autres membres du Congrès, a déclaré à +972 : « Comme en toute relation diplomatique, nous devons nous assurer que nos alliés se conforment au droit international, respectent les droits de l’homme et contribuent à la paix. L’aide militaire est l’un des leviers les plus importants que nous ayons ». Elle souligne que les Présidents Jimmy Carter et George H. W. Bush ont tous les deux utilisé l’aide à Israël comme point d’appui. « Je crois que la rapidité et l’augmentation récentes des violations des droits de l’homme résulte de notre réticence à tenir les nouvelles administrations israéliennes responsables des mesures qui sapent la paix. Si nous sommes fermes à propos de la paix, il nous faut l’être à propos des occasions manquées –  et faire tout notre possible pour tirer les leçons de nos erreurs », dit-elle.

En 1991, George H. W. Bush a brièvement retenu 10 milliards de dollars à titre de garantie des prêts à Israël, en mesure punitive pour l’expansion des colonies de peuplement, et son fils a menacé de faire de même en tant que Président en 2003, pour exactement le même problème. Le Président Obama, de son côté, a signé un Protocole d’entente qui a garanti à Israël une enveloppe de 38 milliards de dollars sur dix ans. C’est l’enveloppe la plus grosse dans l’histoire des États-Unis, et elle n’était assortie d’aucune condition liée aux colonies de peuplement ou aux droits des Palestiniens. Aujourd’hui, le Parti démocrate s’oppose à la décision résolument « pro-Israël » d’Obama de donner un chèque en blanc à Israël avec l’argent des États-Unis.

Matt Duss, le conseiller en politique étrangère de Bernie Sanders, a déclaré à +972 : « L’argent est un symbole politique. Engager un débat sur la suppression de cette aide est également un symbole politique. Le but n’est pas d’en arriver à ce point ; mais si nous le faisons, nous réfléchissons, comme beaucoup le sont, aux mesures concrètes que nous allons prendre ». Duss n’a pas spécifié comment Sanders s’y prendrait pour conditionner l’aide, soulignant plutôt l’importance de normaliser l’idée que les dollars des contribuables US ne viendront pas soutenir des violations des droits de l’homme. 

J Street est un groupe de pression sioniste libéral voué à une cause unique qu’il s’impose avec le mandat de faire pression en faveur d’une solution à deux États. Dans son propre langage, il veut s’assurer qu’Israël est bien un État juif et démocratique qui vit en paix et en sécurité à côté d’un État palestinien. Il a fallu à l’organisation plus d’une décennie pour en arriver à s’emparer de l’effet de levier de l’aide pour aller à des concessions politiques ; le déclencheur en a été la promesse électorale de Netanyahu, en 2019, d’annexer les colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie avant même les élections d’avril. Effectivement, cette « menace d’annexion » a surgi en bonne place dans les messages de la conférence. Mais tout comme l’engagement persistant de J Street en faveur d’une solution à deux États malgré sa disparition du discours en Israël, cela est déconnecté de la réalité sur le terrain. Comme l’experte en opinion publique et autrice de +972 l’a souligné lors d’une session en groupes restreints, Israël a déjà annexé, de facto, par son entreprise de colonisation de peuplement, la plus grande partie des territoires palestiniens occupés. « L’expansion des colonies est une annexion qui se produit là, sous nos yeux » dit-elle. 

Les participants à la conférence nationale 2019 de J Street lèvent des affiches de la nouvelle campagne de l’organisation exhortant le Parti démocrate à s’opposer officiellement à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, le 27 octobre 2019. (Avec la gracieuse permission de J Street)

J Street avait fourni une grande tente sous laquelle la question de l’aide US à Israël a pu être débattue, mais son travail législatif actuel est largement centré sur le triage pour les dommages infligés depuis l’entrée en fonction de Trump. J Street se vante d’avoir recueilli plus de 190 partisans pour le HR 326, qui s’opposent à l’annexion et réaffirment l’appel à une solution à deux États, mais cette résolution est grandement symbolique. Notamment, elle ne va pas jusqu’à inclure une condamnation de l’occupation. Il reste à la plate-forme du Parti démocrate d’appeler à la fin de l’occupation ; cette année est la première fois où J Street en a fait une campagne centrale dans le cadre de son action avec les étudiants sur les campus. 

Lors de la conférence 2019, il est devenu évident que les flancs progressistes de J Street et le Parti démocrate tirent l’organisation tout entière vers la gauche. Ceci est illustré par la toute première apparition du sénateur de New York, Chuck Schumer, qui est un habitué de l’AIPAC et qui soutient la législation anti-BDS. J Street est maintenant politiquement compétent, et il apporte la preuve qu’il existe une alternative indispensable à l’AIPAC. Dans leurs discours liminaires au gala de la conférence, Shumer comme Pelosi ont répété l’importance d’un soutien bipartite à Israël, une sorte de mantra à Washington. Pas un seul représentant républicain n’a assisté à la conférence, alors que les organisateurs avaient déclaré en avoir invité plusieurs. Autrement dit, le soutien à Israël n’est plus une question bipartite – et c’est plutôt bien. Pour le GOP (Grand Old Party – Parti républicain), ni l’occupation, ni les Palestiniens n’existent réellement. Pour les démocrates, les droits des Palestiniens font de plus en plus partie intégrante d’un programme progressiste. Dans la perspective de 2020, le problème est : maintenant que J Street a commencé à débattre, va-t-il aussi se mettre à avancer ?

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source: +972

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