Gaza 2020 : Le territoire palestinien a-t-il atteint son point de non retour ?

Il y a sept ans, dans le cadre du siège israélien sans fin, l’ONU prédisait que Gaza pouvait devenir invivable d’ici 2020. Mais des analystes disent que ce moment est arrivé depuis longtemps.

Des Palestiniens inspectent une maison détruite par une frappe aérienne israélienne à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 novembre 2019. (Ashraf Amra APA Images)

Megan 0’Toole, 9 décembre 2019

En 2012, un rapport des Nations Unies peignait un sombre tableau de la Bande de Gaza et des conditions auxquelles faisaient face ses habitants palestiniens.

Son économie était léthargique, son système de santé assiégé et ses ressources naturelles décroissantes. Mais de plus sombres jours étaient à venir, prédisait l’ONU.

Vers 2020, la population de Gaza dépasserait les deux millions. Les besoins en électricité devraient grimper jusqu’à plus de 50 %, prévoyait le rapport, et l’aquifère côtier du territoire pourrait être devenu irréparable. L’ONU demandait une injection massive de ressources, dont des milliers de médecins et infirmières supplémentaires, le doublement de la capacité électrique et au moins 440 nouvelles écoles.

On est presque en 2020. Les prévisions de l’ONU sur les besoins en expansion de Gaza se sont avérées très largement exactes – mais les prestations des services essentiels n’ont pas réussi à les rattraper.

Le chômage a grimpé à presque 50 %, le ratio par personne de médecins et d’infirmières a chuté, plus des deux tiers des familles sont en insécurité alimentaire, et trois pour cent seulement de l’aquifère de Gaza fournit une eau potable, d’après les statistiques officielles et les agences de secours.

Michael Lynk, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme dans les territoires palestiniens, a dit à MEE : « La prédiction d’invivabilité est déjà accomplie. Le mètre étalon utilisé par l’ONU ou toute autre organisation internationale pour pouvoir évaluer comment vivent les gens, c’est la dignité humaine, et Gaza est sans dignité humaine depuis des années maintenant.

Survivre à Gaza

Depuis que le Hamas est arrivé au pouvoir à Gaza en 2007, Israël amis sous blocus l’enclave côtière, avec de sévères restrictions sur la circulation des gens et des marchandises. Les pénuries de fuel, les coupures de courant, l’eau contaminée et l’effondrement des infrastructures ont été renforcées par les offensives israéliennes répétées. La guerre la plus récente, pendant l’été 2014, a tué plus de 2.200 Palestiniens et a dévasté des dizaines de milliers de logements.

Au cours des premières années du siège, Israël a calculé quel était le minimum de calories dont les Palestiniens de Gaza auraient besoin pour survivre (l’information est apparue à la suite d’une bataille juridique gagnée par l’ONG israélienne Gisha). Ces chiffres ont alors été utilisés pour déterminer la quantité de nourriture qu’il faudrait faire entrer de façon à maintenir le territoire sous respiration artificielle.

« Cela allait laisser Gaza sur sa faim, mais pas complètement affamée, et c’est toujours … la stratégie poursuivie par Israël », a dit Lynk.

« Tant que Gaza ne se révolte pas ; tant qu’il n’y a pas une autre frappe périodique sur Gaza, utilisant les armements les plus sophistiqués au monde ; tant que Gaza reste loin des grands titres dans le monde, le monde ne va pas beaucoup bouger pour changer cette situation. »

Haidar Eid, professeur agrégé à l’université Al-Aqsa de Gaza, a dit de la politique d’Israël envers les Palestiniens qu’elle était « génocidaire ».

« Ils sont en rappel constant du péché originel commis en 1948 », affirme Haidar Eid à MEE, faisant référence à la Nakba, l’expulsion massive des Palestiniens qui a accompagné la création d’Israël. « Israël veut les punir pour leur résistance, pour ne pas être des sujets serviles, et pour les pousser à renoncer à leur droit au retour internationalement garanti. »

Le déclin pour les Palestiniens

D’autres observateurs ont remarqué comment, bien avant la date limite de 2020, le siège israélien avait déjà provoqué des conditions insoutenables dans tout Gaza. Les restrictions sur les zones de pêche – réduites à 10 miles nautiques après les 15 miles du début d’année – impactent les moyens d’existence de la population. Les interdictions d’importation empêchent des produits essentiels, tels que le fuel et le gaz pour la cuisine, d’entrer sur le territoire. Et les coupures habituelles d’électricité font de la vie quotidienne un combat, le courant n’étant parfois disponible que quelques petites heures par jour.

Pour certains des Palestiniens les plus gravement touchés, trouver un soulagement est impossible. En septembre dernier, Israël n’a approuvé que bien moins des deux tiers des demandes des patients pour pouvoir quitter le territoire pour raisons médicales. Certains ont subi un interrogatoire comme nécessité préalable à l’approbation du permis – pratique dénoncée par les associations des droits de l’Homme, telles que Médecins pour les Droits de l’Homme, qui rappelle l’histoire israélienne de contrainte des patients pour qu’ils deviennent des collaborateurs en échange des soins hospitaliers nécessaires.

Le « dé-développement » des services de santé signifie que la technologie de base n’est souvent plus disponible à Gaza, tandis que médicaments et personnel médical sont en rupture, a fait remarquer Gerald Rockenschaub, directeur du bureau de l’Organisation Mondiale de la Santé dans les territoires Palestiniens Occupés.

« Ce n’est pas un déclin brutal ; c’est un déclin chronique », a-t-il dit à MEE. « Le système est toujours très près ou au bord de l’effondrement. » 

Tout en empêchant un arrêt total, notent les experts, l’aide internationale à ce territoire densément peuplé a créé une dépendance humanitaire plutôt que d’encourager le développement à Gaza. Au même moment, les coupures cette année par l’administration Trump du financement de l’UNRWA, agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, a aggravé la crise.

« Le développement s’enfonce dans l’abîme dans le contexte de Gaza », a dit à MEE Jamie McGoldrick, coordinateur humanitaire de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés, faisant remarquer que cela s’est fait sentir de façon aiguë dans les secteurs de la santé et de l’éducation.

Les écoles fonctionnent en double ou triple vacations pour s’adapter à la croissance de la population chez les jeunes. Et pendant ce temps, les hôpitaux se sont adaptés au-delà de leur capacité, surtout depuis que les manifestations de la Grande Marche du Retour se sont traduites en milliers de blessés.

Pourtant, alors que l’aide humanitaire est un peu plus qu’une solution miracle, disent les analystes, sevrer le territoire de cette assistance représentera un processus complexe et difficile.

« Vous ne pouvez pas vous contenter de dire,’OK, demain plus de nourriture, plus de soutien. Vous allez ailleurs.’ Il n’y a pas ‘d’ailleurs’ à Gaza … Les gens dépendent de [l’aide] humanitaire », a dit McGoldrick.

« Nous devons commuter cela vers quelque chose de plus durable, et certainement quelque chose de beaucoup plus empli de dignité que ce que nous avons juste maintenant. »

Les Palestiniens : ‘En vie faute de mort’

Kamel Hawwash, professeur anglo-palestinien à l’université de Birmingham, a dit à MEE que, pour la population de Gaza, la prédiction de l’ONU sur 2020 est avérée depuis longtemps. Il a dit que beaucoup de gens citent le dicton arabe : « Nous sommes en vie faute de mort ».

La politique d’Israël est celle du confinement, a dit Hawwash, et, en fin de compte, « Israël veut conserver ‘le calme’ à Gaza. Si le Hamas y réussit, alors parfait. Sinon, alors [Israël] attaque la Bande ».

On dit aussi qu’Israël a encouragé les Palestiniens à quitter Gaza définitivement, dans le but de réduire encore leur présence sur le terrain. Plus tôt cette année, il paraît qu’une source gouvernementale a reconnu que « des tentatives avaient été lancées » pour persuader d’autres nations de les accueillir, ajoutant qu’Israël aiderait au transport.

Pour que Gaza émerge de sa fâcheuse situation actuelle, a dit Hawwash, le fossé à l’intérieur des Palestiniens entre le Fatah et le Hamas doit être comblé et le siège israélien doit prendre fin, permettant à la stabilité de prendre pied.

« Clairement, si les réfugiés qui composent 80 % de la population retournaient dans leurs maisons – comme ils en ont le droit selon le droit international – alors Gaza pourrait être vivable et prospère. »

Un processus politique réussi pourrait ouvrir la route à une stratégie mieux orientée vers le développement à Gaza, a dit McGoldrick, attirant potentiellement de nouveaux investissements dans les systèmes d’approvisionnement en eau, les zones industrielles et la création d’emplois.

Il a dit du blocus que c’était « le plus grand inhibiteur du développement » tout en reconnaissant que la date limite d’invivabilité de 2020 était en elle-même « une création artificielle » de l’ONU.

« Cela ne veut rien dire pour n’importe quel Palestinien … Les gens essaient simplement d’arriver au bout de la journée, survivant jour après jour », a-t-il dit.

Cependant, la population continuant de grossir, les services de se réduire et le chômage de grimper, Gaza s’approche peut-être d’un point de non retour.

Sara Roy, maîtresse de recherche au Centre d’Etudes Moyen-Orientales de l’université de Harvard, a dit à MEE : « Le terme ‘invivable’ … est utilisé dans le sens d’une alarme en direction de la communauté internationale, mais cette alarme sonne depuis longtemps. »

Cet avertissement, a-t-elle dit, a été ignoré dans l’indifférence internationale et avec des interventions humanitaires qui ne servent que de substitut aux droits de l’Homme.

« Sans une circulation sans encombres des gens et des marchandises », a dit Roy, « Gaza sera condamnée à un naufrage continu. »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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