Une petite gazaoui se bat seule contre le cancer dans un hôpital de Cisjordanie. Israël ne laisse pas ses parents l’accompagner

Miral Abu Amsha, une enfant de 10 ans qui souffre de leucémie, suit toute seule une chimiothérapie dans un hôpital de Naplouse. Et elle n’est pas l’unique patiente dans cette situation.

Par Gideon Levy et Alex Levac, 22 décembre 2019

Miral Abu Amsha à l’hôpital de Naplouse. Alex Levac

Le regard sur le visage de Miral nous dit tout : les traits angoissés d’une petite fille, apprenant la douleur. Dans la chambre, des ballons gonflables, des poupées sur le lit et sa grand-mère à ses côtés. Mais le visage de Miral ne reflète que de la souffrance. Parfois, elle est au bord des larmes, mais se retient pour ne pas pleurer devant des étrangers. Mais de temps en temps elle n’arrive plus à se contenir et fond en larmes. Elle est assise sur le lit, la perfusion de chimio attachée au bras, le produit s’écoulant directement dans ses veines.

Miral Abu Amsha est une enfant de 10 ans atteinte de la leucémie. Cela fait deux semaines qu’elle est hospitalisée au CHU de Najah àNaplouse, en Cisjordanie. Elle suit une chimiothérapie agressive qui devrait continuer encore au moins quatre mois. Son papa et sa maman ne sont pas auprès d’elle. Ses parents sont loin, à Gaza City, par delà les ténèbres. 

Ses parents lui manquent, elle est triste. Miral parle à peine. Sa grand-mère, qui a eu le droit de lui rendre visite, est désespérée, elle implore les visiteurs israéliens qui viennent d’entrer dans la chambre de leur venir en aide.

Ce n’est pas difficile d’imaginer ce que traversent les parents de l’enfant, alors qu’ils sont enfermés dans la prison qu’est la Bande deGaza, entendre chaque jour leur petite fille pleurer au téléphone et ne pas être en mesure de l’aider, ne pas pouvoir être à ses côtés, la prendre dans les bras ni la rassurer. Il n’est pas besoin d’être oncologiste ou spécialiste en psychologie pour savoir que les conditions mentales d’une enfant hospitalisée loin de ses parents affecte ses chances de guérison. De nombreuses études en attestent.

Ceci pourrait bien être l’endroit le plus triste des territoires occupés. Tous les services pédiatriques de tous les hôpitaux sont des endroits très tristes ; les chambres des enfants qui souffrent d’un cancer sont sûrement encore plus tristes. Mais les chambres des enfants de Gaza qui souffrent d’un cancer et qui sont hospitalisés ici à Najah à Naplouse, où beaucoup d’entre eux sont séparés de leurs parents pendant un moment aussi terrible, sont des endroits déchirants. Il est difficile de rester longtemps ici. L’atmosphère de désespoir et d’impuissance y est insupportable. L’essence du mal israélien dans toute sa splendeur.

Matériellement, la scène ressemble à tous les services pédiatriques d’hôpitaux modernes : les peintures colorées sur les murs, une salle de jeux, une salle de classe pour ceux hospitalisés pour de longs séjours, de grandes chambres pour maximum deux patients, des fauteuils confortables pour la famille ; tout ce qui peut aider à soulager la souffrance d’un enfant. Mais cette semaine sept enfants de la Bande de Gaza étaient ici et seulement deux étaient avec leurs mères. Pour ce qui est des pères, ne rêvez pas ! La “sécurité” d’Israël, vous savez… 

La plupart des enfants étaient avec leur grand-mère ou leur tante, ou quelques fois avec une femme qu’ils ne connaissaient pas, qui que ce soit qui parvient à obtenir un permis pour sortir de la prison Gaza. Tous ces enfants sont ici, en Cisjordanie, dans une zone soit-disant sous contrôle de l’Autorité Palestinienne, sans leurs parents (sur ordre d’Israël), car aucun traitement n’est disponible à Gaza assiégée.

Nous avions visité cet hôpital il y a deux ans, lorsque le directeur était le professeur Selim Haj Yehia, un chirurgien cardiaque spécialiste des greffes et de renommée internationale, originaire de la ville israélienne de Taibeh. Son frère, Samer Haj Yehia, est président de la banque israélienne Leumi. Haj Yehia a été obligé de démissionner et a été remplacé par Dr. Kamal Hijjazi, né à Gaza, qui nous escorte avec le directeur général de l’hôpital, Dr. Walid Khoury, habitant en Jordanie.

Les deux hommes sont très cordiaux. Hijjazi tient à ramasser chaque papier qu’il trouve dans les couloirs de son hôpital pourtant très propre. Nada, une petite fille de trois ans du camp de réfugiés de Shati, à Gaza, est la première patiente que nous rencontrons. Elle a de la chance : sa mère est avec elle.

La grand-mère de Miral, Shafiqa, prie pour que la mère de la fillette, Donia, soit autorisée à quitter Gaza et à la remplacer ici. Donia s’est vue refuser le permis pour des raisons de sécurité. Elle est sans aucun doute une dangereuse terroriste.

Bisan Sukar elle aussi est là sans ses parents. Elle a quatre ans et sa chevelure est clairsemée, à cause du traitement. Sa grand-mère, Zahiya, 71 ans, s’occupe d’elle avec le peu de force qu’elle a. Maman et Papa sont loin. Une fois, sa mère a pu l’accompagner, mais cette fois sa demande a été rejetée. Il est difficile de s’empêcher de penser que cet arbitraire et cette cruauté sont faits exprès.

Bisan Sukar. Cette fillette de quatre ans est hospitalisée à Naplouse et suit une chimiothérapie, sans ses parents. Alex Levac

Les infirmières tentent de remplir le rôle des mères absentes, mais n’y parviennent pas toujours. Certaines d’entre elles portent des masques pour éviter d’infecter les enfants dont le système immunitaire est affaibli voire anéanti. Des dizaines d’autres enfants sont traités ici en ambulatoire ; nombre d’entre eux viennent eux aussi de Gaza et vivent, avec ou sans leurs mères, dans des appartements que l’hôpital leur loue.

Un nouveau rapport de la branche israélienne de Physicians for Human Rights montre que chaque année des centaines d’enfants malades de la Bande de Gaza sont envoyés en dehors de Gaza pour des traitements médicaux sans leurs parents, car les autorités israéliennes refusent de leur octroyer un permis de sortie. Selon ce rapport, entre octobre 2018 et juillet 2019, 21 % des enfants qui ont du quitter Gaza pour des traitements médicaux n’étaient pas accompagnés de leurs parents. Le nombre moyen de permis de sortie octroyer à des enfants malades pendant cette période était de 536 par mois, dont seuls 420 ont pu partir avec l’un de leur parent, en général leur mère. Les autres 116 enfants ont du partir et être hospitalisés sans aucun de leur parent. Ces chiffres ont été fournis au PHR par la Coordination des Activités du Gouvernement dans les Territoires après que deux demandes aient été soumises au Freedom of Information Act israélien.

Mais tous les enfants malades n’obtiennent pas de permis pour quitter Gaza pour des soins médicaux. La petite Rim Ahal, quatre ans, a été grièvement empoisonnée en mai dernier lorsqu’elle a accidentellement avalé de l’acide sulfurique, ce qui a causé de terribles dégâts sur ses organes. Rim est alimentée par perfusion et souffre en permanence ; son père l’emmène tous les deux jours à l’hôpital Rantisi de Gaza City pour remplacer sa perfusion. Depuis l’accident, la famille a fait de nombreuses demandes pour que Rim puisse aller avec sa mère ou son grand-père à l’hôpital de Najah, où son état pourrait être amélioré. Mais le District Coordination and Liaison Office ne s’est pas donné la peine de répondre aux demandes de la famille ni à d’autres, de PHR. Cette semaine la demande a été refusée, officiellement.

Un porte-parole de la Coordination des Activités du Gouvernement a déclaré cette semaine, en réponse à une requête de Haaretz: “Comme nous l’avons expliqué au Palestinian Civil Committee de la Bande de Gaza, la demande de Donia Abu Amsh a été rejetée car des erreurs de coordonnées ont été trouvées dans son formulaire de demande. A ce jour, les bonnes coordonnées n’ont pas été rajoutées [sic], ni une nouvelle demande adressée, et lorsque que nous en recevrons une, elle sera examinée individuellement, comme toutes les demandes.’’

Rim Ahal, quatre ans, reçoit son traitement dans un hôpital de Gaza. Alex Levac 

“Jusqu’à ce que nous recevions une nouvelle demande de la mère, le District Coordination and Liaison Office à Gaza a délivré un permis d’accompagnant à la grand-mère de la petite Miral Abu Amshi, pour qu’elle ne soit pas seule pour recevoir le traitement médical [et pour que] le traitement médical ne soit pas retardé.

“De plus, la demande de Rim Ahal a été rejetée par le DCL à Gaza car des erreurs de coordonnées ont été trouvées sur le formulaire de demande de l’accompagnant supposé aller avec elle pour qu’elle reçoive son traitement médical. C’est pour cela que sa demande n’a pu être approuvée. Nous tenons à souligner que le règlement du DCL ne permet pas de délivrer un permis à un enfant s’il n’y a pas d’adulte pour l’accompagner.”

Un calvaire exténuant

Il y aussi des enfants malades qui obtiennent un permis de quitter Gaza pour traitement médical mais qui ne peuvent endurer le long, exténuant calvaire des checkpoints. Cela a été le cas d’Abdul Rahim Shurav, un bébé qui souffrait d’une maladie qui provoquait des essoufflements et des étouffements. Il a obtenu un permis de sortir, et le personnel de l’hôpital de Najah avait préparé son arrivée, dans un état grave. Mais lors du trajet vers Naplouse, alors qu’il était transféré d’une ambulance à une autre, l’enfant de deux ans est mort, le 26 Novembre.

Les enfants ne sont pas les seuls à devoir gérer seuls leur maladie à Najah. Nous avons rendu visite à Mohammed Tabash, 31 ans, un patient atteint du cancer, qui est étendu seul dans le service de chirurgie et fixe tristement le plafond, loin de sa femme, de ses deux enfants et de tous les membres de sa famille. Ils sont à Khan Yunis, dans la Bande de Gaza, et lui est ici, dans un hôpital situé sur les hauteurs du Mont Ebal, à suivre tout seul une chimio agressive. Une couverture blanche le recouvre, une perfusion est attachée à son bras. Étant sans emploi, l’année avant qu’il ne tombe malade, Tabash avait été bénévole au Croissant Rouge en tant qu’ambulancier lors des manifestations hebdomadaires de la Marche du Retour le long de la clôture qui enferme Gaza. Il y a six mois, il a commencé à avoir des frissons et de la fièvre. On lui a alors diagnostiqué une leucémie à l’Hôpital Européen de Gaza, qui l’a adressé à Najah.

La demande de Tabash d’aller à Naplouse a été acceptée, et il a été transporté ici par ce qu’on appelle le “système roll on/roll off,” d’une ambulance à une autre ; trois au total, de chez lui au checkpoint d’Erez, puis jusqu’au checkpoint de Qalandiyah, et enfin de Qalandiyah à l’hôpital de Naplouse. Les autorités ont permit au père de Tabash, qui a 60 ans, de l’accompagner.

Mohammed Tabash, un patient atteint du cancer, hospitalisé à Naplouse, loin de sa femme et de ses enfants. Alex Levac

Mais après un mois, Khalil ne supportait plus de rester constamment à l’hôpital et est retourné à Khan Yunis. La famille a alors demandé à ce que le femme de Mohammed, Rasha, une enseignante de maternelle de 29 ans, ait un permis pour qu’elle puisse passer au moins quelques jours avec son mari pendant qu’il subi le traitement agressive. La demande a été rejetée pour “raisons de sécurité.”

La famille Tabash a alors fait appel au PHR. Dans une conversation avec un agent du Bureau de Coordination et de Liaison, on a fait savoir au représentant de l’ONG que Mohammed “séjournait illégalement en Cisjordanie.” L’hôpital a immédiatement envoyé une réponse expliquant clairement que le patient avait quitté la Bande de Gaza légalement et qu’il suit une chimio intensive depuis lors qui nécessite encore plusieurs mois. Le rapport médical explique également que Tabash a besoin d’un membre de sa famille pour l’accompagner durant son traitement et que son état est grave : il se peut qu’il ait besoin d’une greffe de moelle osseuse, ce qui est une opération particulièrement difficile.

Aucune réponse n’a été reçue à la suite de la deuxième sollicitation du PHR aux autorités, envoyée le mois dernier par sa coordinatrice de projets, Haneen Kinani, ni à la demande soumise par la famille pour qu’un proche puisse accompagner Tabash.

Malgré la demande de Haaretz sur le sujet, le porte-parole du COGAT a refusé de faire toute déclaration publique. 

Pendant ce temps dans sa chambre, nous observons le traitement s’écouler au goutte à goutte dans le corps de Tabash. Sa femme, Rasha, a demandé à Kinani d’acheter à son mari un nouveau sweat-shirt pour l’hiver. Kinani le place sur l’étagère à côté du lit de Mohammed. Un sourire se dessine sur ses lèvres. 

Source: Haaretz

Traduction: LG pour l’Agence Média Palestine

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