Le spectre d’Edward Said et la fin d’Oslo

Ce qu’Edward Said avait prédit dans les années 1990 s’est réalisé. Le projet à deux États de l’OLP a échoué.

Par Haidar Eid, le 6 juin 2020

Yasser Arafat, dirigeant de l’OLP, échange une poignée de mains avec Yitzhak Rabin, Premier Ministre israélien, après la signature de l’accord de paix à la Maison Blanche le 13 septembre 1993 [Archive Reuters/Gary Hershorn]

Lorsque les désastreux Accords d’Oslo ont été signés en 1993 sur la pelouse de la Maison Blanche à Washington, certains ont exprimé des critiques cinglantes et de vives préoccupations relatives à ses dispositions et aux concessions importantes que les Palestiniens étaient forcés de faire.

Les signataires palestiniens avec à leur tête Yasser Arafat, dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et leurs partisans ont riposté en posant une question : Quelle est l’alternative ? Ils pensaient peut-être que cette question-coup de poing mettrait fin au débat et dissimulerait le fait que les accords étaient une continuation de la nature coloniale de la relation entre les oppresseurs israéliens et les opprimés palestiniens.

Feu Edward Said, opposant résolu à l’accord, a relevé le défi en octobre 1993 et a écrit dans la London Review of Books un article prophétique intitulé The Morning After (Le Jour d’après). S’appuyant sur ce qu’il appelait « le sens commun », il prédisait la tragédie qui s’est déroulée après 1993 ; rien de plus, rien de moins.

Avec son éloquence accoutumée, il écrivait : « Afin de progresser vers l’autodétermination palestinienne – qui n’a de sens que si elle a pour objectif la liberté, la souveraineté et l’égalité, plutôt que la subordination perpétuelle à Israël – nous avons besoin de reconnaître honnêtement où nous en sommes. »

Ce qu’il trouvait particulièrement « déroutant » à l’époque, c’était la manière dont « tant de dirigeants palestiniens et leurs intellectuels [pouvaient] persister à désigner l’accord comme une « victoire » ». Le conseiller d’Arafat Nabil Shaath, par exemple, affirmait que l’accord assurait une « parité complète » entre Israéliens et Palestiniens.

Au long des quelques années qui ont suivi, Said a continué à poser des questions « embarrassantes » dans ses articles pour Al-Ahram Weekly, Al-Hayat, Sharq Al-Awsat, et d’autres journaux et magazines: Israël, sous le gouvernement travailliste sioniste ashkénaze, a-t-il décidé de reconnaître le peuple palestinien comme un peuple quand il a signé les Accords d’Oslo? Les Accords d’Oslo ont-ils constitué un changement radical de l’idéologie sioniste en ce qui concerne les « non-Juifs palestiniens »?

Les accords ont-ils garanti le rétablissement d’une paix de longue durée et complète ? La direction de l’OLP d’alors représentait-elle les aspirations politiques et nationales du peuple palestinien ?

Dans son livre The End of The Peace Process (La fin du processus de paix), il résumait la réponse à ces questions : « Il vaut mieux ne pas avoir de négociations plutôt que d’interminables concessions qui prolongent simplement l’occupation israélienne. Israël se réjouit certainement de se voir attribuer le mérite de la paix, tout en continuant l’occupation avec le consentement des Palestiniens. »

Vingt-sept ans et de nombreuses concessions palestiniennes plus tard, tout ce que Said avait prédit s’est malheureusement réalisé. L’OLP se débat avec une sombre réalité qu’elle a largement contribué à créer en acceptant de signer les Accords d’Oslo.

Tandis qu’Israël s’apprête à annexer 30 pour cent de la Cisjordanie occupée, le président Mahmoud Abbas, protégé et successeur d’Arafat, a commencé à lancer une nouvelle série de menaces creuses. Le 19 mai, il a déclaré la fin de la coopération en matière de sécurité et d’autres accords avec Israël et les États-Unis.

Cela revient à déclarer la fin du rêve d’un État palestinien sur 22 pour cent de la Palestine historique. C’est la réalisation de ce rêve que les intellectuels pro-Oslo mettaient en avant comme le but ultime justifiant le prix élevé que les Palestiniens n’ont cessé de payer.

Ils ont continué à entretenir cette illusion pendant 27 ans, refusant d’admettre l’impossibilité économique, politique et même physique d’établir un État palestinien réellement souverain dans le contexte d’un projet actif de colonisation et en l’absence de toute contigüité territoriale.

La question douloureuse que nous devons nous poser aujourd’hui est celle-ci : depuis 1993, avons nous été contraints de subir d’horribles massacres, un siège génocidaire, la confiscation implacable de nos terres, la construction d’un mur d’apartheid, l’emprisonnement d’enfants et de familles entières, la démolition d’habitations et de nombreuses autres exactions uniquement parce qu’une classe compradore voyait l’« indépendance » au bout d’un tunnel fermé ?

Il est temps pour nous, opposants à l’accord, de renvoyer une question aux partisans d’Oslo : Cette transaction, en elle-même, a-t-elle jamais eu pour but de garantir les droits fondamentaux minimaux du peuple palestinien colonisé, notamment la liberté et l’autodétermination ?

Avant de nous quitter, Said a publié deux textes : Israel-Palestine: a third way (Israël-Palestine : une troisième voie) et The only alternative (La seule alternative), dans lesquels il proposait une solution basée sur « l’égalité ou rien », qui peut se matérialiser par l’établissement en Palestine d’un État démocratique et laïque dans lequel tous les citoyens sont traités de façon égale, indépendamment de leur religion, de leur sexe ou de la couleur de leur peau.

Une paix complète, selon lui, implique qu’Israël, la puissance colonisatrice, reconnaisse le droit des Palestiniens à exister en tant que peuple, leur droit à l’autodétermination et à l’égalité, de la même manière que les colonisateurs blancs l’ont fait en Afrique du Sud. À la fin d’un de ces essais, il demande : « Est-ce que les dirigeants palestiniens actuels écoutent ? Peuvent-ils suggérer quoi que ce soit de préférable à cette solution, étant donné le bilan catastrophique de leur « processus de paix » qui a conduit aux horreurs présentes ? »

Ce n’était pas possible à l’époque et cela ne l’est toujours pas. Il est grand temps que le peuple palestinien renonce à l’illusion de la solution à deux États et fasse l’expérience d’une démarche démocratique qui puisse garantir leurs droits fondamentaux : la liberté, l’égalité et la justice.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.

À propos de l’auteur Haidar Eid est un Professeur associé à l’Université Al-Aqsa à Gaza.

Traduction : SM pour l’Agence Média Palestine

Source : Al Jazeera

Retour haut de page